La condamnation de Tiscali, une limitation à l’exception de l’hébergeur
Fin le 14 janvier d’un long litige entre Tiscali et la société Dargaud, qui commence en 2002, quand Dargaud découvre des copies de ses bd sur un site de Tiscali. La Cour de Cassation vient de confirmer la responsabilité de Tiscali en tant qu’éditeur, pour des motifs qui rétrécissent singulièrement le champ de l’irresponsabilité de l’hébergeur.
Petit rappel de l’histoire : Tiscali se fait attaquer par Dargaud, non pas parce qu’il héberge un matériel piraté, mais parce que le détenteur du site est injoignable.
En effet les données du who is sont laconiques, et manifestement fausses :
Nom : Bande
Prénom : Dessinée
Adresse : rue de la BD
Or l’hébergeur doit vérifier l’exactitude des données du who is. Ce qui est relativement facile dans le cas d’un hébergement payant (on envoie une facture) devient nettement plus délicat quand il s’agit d’un hébergement gratuit. Ou alors il faut pouvoir demander des documents, les traiter… (et vous le savez, ce genre de gestion ne va pas très bien avec la gratuité…).
C’est d’ailleurs une obligation de l’ICAN : un nom de domaine doit être associé à une adresse valide (même si elle est cachée pour les particuliers, dans le cadre du respect de la vie privée). Et en désespoir de cause, quand un site dont le propriétaire est injoignable vous fait du tort, vous pouvez demander la résiliation du nom de domaine, si vous pouvez prouver qu’il n’a pas d’adresse valide.
Donc Dargaud, qui considère qu’il faut bien qu’il y ait un responsable, assigne Tiscali, “faute de mieux”, et la Cour d’Appel confirme ; Tiscali est considéré comme éditeur, et responsable. Bien sûr, il fait appel.
Et bang, la sanction de la Cour de Cassation vient de tomber. Tiscali est bien éditeur. Et la Cour de Cassation ne regarde même pas le problème de l’identification du Monsieur Bande Dessinée. Elle considère deux critères :
- Le service sur lesquels les pages perso sont hébergées, chez.com, est une sous-partie du site Tiscali. Il y a donc une autre activité que le stockage
- et surtout, comme Tiscalli insère de la publicité sur ces pages elle tire un revenu de leur publication (et de l’infraction). A mon avis personnel, c’est le critère qui a été le plus important, mais je ne suis pas dans la tête d’un juge de Cassation. Néanmoins, il me parait logique de dire qu’à partir du moment où on tire un revenu d’un contenu illégal, on ait une responsabilité financière
Par un curieux retournement, on en arrive à faire porter plus de responsabilité aux hébergeurs qu’aux éditeurs. (Voir l’analyse détaillée des critiques dans PcInpact, qui, au passage, me semble faire un joli parasitage de marque.)
Pourtant, la situation aurait sans doute été totalement différente si Monsieur Bande Dessinée avait été identifiable. La parade pour les hébergeurs gratuits serait donc de renforcer l’identification de leurs “clients”.
Et maintenant ?
L’affaire Dargaud date d’avant la LEN, elle a donc été jugée dans un contexte différent d’aujourd’hui. La loi n’est pas rétro-active, et les critères de distinction entre hébergement et édition utilisés par la Cour de Cassation n’ont pas été repris tels quels dans la loi. Le travail d’une Cour de Cassation n’est pas de “créer” des lois, mais elle peut être “créatrice de droit”, en posant des principes d’interprétation. La question est donc de savoir si ce jugement sera ponctuel, celui d’une affaire dans un contexte législatif dépassé, ou bien si il sera une base pour d’autres affaires de contrefaçon / piratage.