Appel d’offres, côté client
Depuis quelques semaines je travaille en temps que maître d’oeuvre sur un gros projet de développement de site web. Disons que je suis en quelques sorte un “DSI externe”. C’est un retour à des choses que j’ai faites pendant des années, quand je travaillais chez Bertelsmann, mais sur une autre échelle (des projets SAP à plusieurs dizaines de millions d’euros…). C’est particulièrement intéressant :
- la plupart des sites que je fais / référence aujourd’hui sont des petits sites, qui ne nécessitent pas une longue réflexion en amont. Là, nous avons envoyé un cahier des charges d’une cinquantaine de pages. La réalisation même de ce cahier des charges a nécessité d’intenses séances de réflexions avec le client final pour mettre à plat les processus, les données, prioriser tout cela, ce qui a même conduit à se reposer des questions sur la stratégie marketing initiale ;
- traiter avec les agences web me permet d’avoir une vision “client” de la relation où je suis habituellement “fournisseur”, ce qui est très instructif pour mieux comprendre comment certains petits détails peuvent avoir un impact positif… ou au contraire, cassent totalement la confiance.
- les réponses des agences sont très variées, et la diversité des approches est enrichissante, même vis-à-vis de notre projet.
Sans rentrer dans trop de détails, la consultation a été “internationale”, avec une agence marocaine, une agence allemande, et un petit nombre d’agences françaises (une dizaine au départ, trois à l’arrivée).
Peut être parce qu’ils étaient les plus nombreux, “les français” n’ont pas été les meilleurs dans la gestion de cet appel d’offres (je parle vraiment de la façon de faire, pas de la qualité des réponses au final). Voici donc une liste de conseils tirés de cette expérience.
Mais tout d’abord quelques infos. A part le budget, tout était dans le cahier des charges. Je prépare ce texte à la fin de l’appel d’offres, je le publierai une fois toutes les réponses reçues.
- le type de projet : une activité commerciale “mondiale” uniquement en ligne
- le budget est compris entre 40.000 et 100.000 €, avec une approche phasée (éléments essentiels, éléments importants, éléments facultatifs) ; le haut de la fourchette correspond à l’ensemble des éléments, y compris ce que dans le jargon on appelle les “nice to have”
- le délai de développement est de trois mois pour la phase 1
- le développement a pour objectif de valider le business model ce qui se fera sur une période de six à neuf mois (nombre de visiteurs, et surtout taux de transformation)
- si le business model est validé, le développement de l’activité sera très important, et donc les honoraires pour la maintenance, ainsi que la mise en place des éléments facultatifs, seront importants
- le choix se fera sur le mieux-disant, nous tenons absolument à sélectionner un partenaire de qualité, même si il n’est pas le moins cher
C’est je pense un projet très intéressant. Il a une part de risque, pour l’agence et pour le client, et il est donc important de bien étudier le cahier des charges.
Être poli dans sons refus de répondre au cahier des charges
Nous avons consulté des agences “sur relations”, et trois agences que je ne connaissais pas personnellement, mais dont je suivais les blogs ou le compte twitter, et dont la façon de fonctionner et d’aborder la construction d’un site web me paraissant intéressante.
Le préalable à l’envoi du cahier des charges était la signature d’un engagement de confidentialité : même si nous n’avons pas réinventé l’Ipad ou Facebook, il y avait dans les cinquante pages toute une réflexion sur le modèle de données et le mode de gestion du projet que je n’ai pas envie de voir se retrouver chez un autre.
Déjà à ce stade, cela a coincé :
- une agence, pour laquelle travaille un développeur que je connais très bien, mais qui vient de changer de patron, s’est faite priée plusieurs jours pour envoyer le document… et s’est permis, sans prévenir, de renvoyer quelque chose de totalement différent. (on l’appellera Agence E)
- une agence n’a simplement jamais répondu
- enfin une agence a eu cette réponse étonnante “Navré, je n’aurai pas le temps pour ce genre de paperasse. Nous travaillons généralement dans la confiance. “
Dans cette dernière réponse j’ai traduis paperasse par connerie, et compris “tu es une petite société marocaine que je ne connais pas, cela ne m’intéresse pas de travailler avec toi, et je ne fais même pas l’effort de te le cacher” (parce que des agences qui bossent sur des gros projets sans clause de confidentialité… )
D’autres agences, elles, ont pris la peine (immense) de renvoyer la déclaration de confidentialité, et après avoir reçu le cahier des charges, de répondre que cela ne les intéressait pas d’aller plus loin. Quelle que soit la raison, d’ailleurs, ce n’est pas un problème.
Enfin, la plupart des agences ont envoyé la déclaration de confidentialité uniquement scannée par mail, ou uniquement par fax, alors que nous demandions un envoi par fax et par courrier de confirmation (le fax n’est pas une preuve juridique en soi, ni au Maroc, ni en France).
A ce stade, pourtant simple, seules deux agences ont fait rapidement l’envoi par fax et par courrier. On les appellera agence A et agence B.
Je ne recroiserai sans doute jamais le monsieur qui travaille dans la confiance… mais peut-être que si ! Le monde du web est petit, c’est dommage de sous-estimer des projets, ou de donner une mauvaise image de soi quand il est si simple d’être courtois.
Contacter régulièrement le futur client
Le cahier des charges le plus complet ne peut pas se suffire. Les erreurs d’interprétation sont toujours possibles, des questions supplémentaires surgissent, auxquelles le rédacteur n’avait pas pensé.
Ce sont d’ailleurs les plus intéressantes, car ce sont celles qui viennent d’une approche différente de la nôtre, qui nous ouvrent des pistes.
Moi qui ai rédigé le cahier des charges, je sais que les agences qui n’ont pas discuté avec nous sont obligées de se planter ! D’abord parce que le cahier des charges n’est pas fixé CMS ou framework, et que selon l’approche retenue, ce ne sont pas les mêmes éléments qui posent problème, et ce n’est sans doute pas le même phasage.
Ensuite parce que le phasage implique que toutes les structures de données soient en place, et qu’on branche ensuite, au fur et à mesure, des processus. Cela conduit à écrire un cahier des charges très complet, alors que peut-être seulement un tiers ou la moitié sera réellement nécessaire au démarrage.
De plus, ce phasage, qui est la clé pour arriver à rester dans notre budget, ne peut pas être aussi détaillé dans l’appel d’offres que la description des fonctionnalités. Nous avons fait un tableau avec les titres de chapitres, “phase I, phase II, phase III”, mais sans reprendre le détail précis de chaque processus.
J’ai lourdement insisté dans le cahier des charges lui même, et lors de l’envoi de l’appel d’offres, “nous sommes disponibles pour discuter avec vous, répondre à toutes les questions, valider votre approche, vous pouvez nous joindre par téléphone, par Skype, par mail”.
Nous avons eu des contacts avec quatre agences :
- contacts répétés avec agence A et B, validation de leur approche à chaque étape. Agence A, notamment nous a proposé de nous donner un pré-budget, que nous leur disions à ce moment là si ils étaient dans l’enveloppe ou pas, avant qu’ils fassent l’effort de détailler complètement la proposition. De même, Agence B nous a téléphoné pour avoir des éclaircissements sur le concept et sur les délais, et nous a ensuite informés de leur avancement
- Agence C n’a pas donné signe de vie avant trois jours avant la date limite.
Ils ont envoyé une longue liste questions.
Je leur ai envoyé la réponse dans l’après midi même, en leur précisant qu’il manquait 4 réponses (sur une bonne cinquantaine) et que je leur enverrai la suite dans la soirée ce qui a été fait.
Et deux jours après, le 2 novembre, alors que j’attendais leur réponse, j’ai reçu un mail “Je vous remercie pour l’envoi du document complété. Nous étions fermés hier (jour férié national) et allons étudier toutes vos précisions avec attention. Je pense qu’avec ce document + le CDC nous serons en mesure de vous fournir une estimation dans le courant de la semaine prochaine.” …
sachant qu’agence A ou B est marocaine, et a donc été confrontée, sur la même période, à la fête de l’Aïd, qui est de trois jours minimum et plutôt d’une semaine, avec les déplacements des gens, bref l’équivalent de notre trève des confiseurs.J’en ai conclu qu’agence C ne savait pas gérer ses délais, et que si ça commençait comme ça pour le cahier des charges, ça augurait mal du développement ultérieur !
- Agence D a eu une longue discussion avec moi sur Skype au moment de l’envoi du cahier des charges, et n’a pas donné de nouvelles jusqu’à la remise du cahier des charges.
- Agence E a eu quelques échanges avec moi (mais encore une fois c’est un cas très particulier).
J’ai donc maintenant une grande confiance en Agence A, B qui m’ont montré leur capacité à travailler en collaboration, et dans le cas de l’agence allemande, à passer par dessus le problème de la langue. Agence C, quelle que soit la qualité de leur réponse, part avec un gros handicap.
Comprendre le besoin réel
Echange de données, reporting, ergonomie, automatisation, gestion des accès, autant de termes qui peuvent définir des réalités différentes, qui n’ont pas la même importance, ou ne représentent pas la même charge de développement selon qu’on s’adresse à une entreprise de 5, 50 ou 300 personnes.
En particulier, en ce qui concerne l’échange de données, on peut partir sur des traitements en temps réel, du batch, ou même de l’import-export de fichiers csv. Le reporting “ad hoc” peut se faire via une interface extrêmement complexe, ou via un accès à phpmyadmin, avec un mode d’emploi sur le modèle de données (une solution à la sqlyog avec des templates de requêtes peut être extrêmement efficace pour un coût dérisoire, si on a affaire à de véritables power users).
Pour un développement informatique, la loi des 80-20 s’applique dans toute sa rigueur : les “petits trucs” bouffent du temps, beaucoup de temps. Il faut donc s’assurer que le client et le prestataire ont bien la même conception de ce qui est un “petit truc” et une “fonctionnalité de base totalement essentielle”.
Là encore, Agence A et Agence B ont je crois une grosse longueur d’avance. Agence C n’a posé que des questions techniques, mais pas sur cet aspect important du projet. Agence D n’a pas cherché à compléter les informations données lors du premier entretien. Je serai peut-être surprise en recevant la proposition
Prévoir les retards et en informer le plus tôt possible
Entre Agence C, qui me prévient le jour même qu’ils vont répondre plus tard, et Agence A et B, qui au fur et à mesure de nos discussions valident avec moi l’étape suivante, le jour où nous pouvons discuter, il est clair que je n’ai pas du tout les mêmes réactions.
Le document était important (50 pages en petits caractères), il y avait pour tout le monde des jours de congés, et le délai de réponse de quinze jours était court.
C’est aussi représentatif de la vie d’un projet : il y a toujours des imprévus, des choses qui n’ont pas été parfaitement cadrées au démarrage, et tant que cela reste dans des limites raisonnables, des retards prévus, discutés et acceptés sont acceptables.
Nous avons finalement décidé de donner un délai supplémentaire à toutes les agences… pas de chance, j’ai oublié que cela tombait un jour férié dans un pays (novembre est manifestement un mois où on a autant de jours fériés qu’au mois de Mai, dans certains pays), l’agence concernée a tout de suite réagit, et le problème a été réglé.
Et le résultat ?
L’agence n’est pas encore choisie. Les cinq offres remises sont toutes d’excellente qualité, et les ressentis lors de l’appel d’offres n’ont pas toujours été confirmés, à la réception des documents finaux.(Et si certains d’entre eux lisent ce blog, j’en profite pour les remercier !)
Il nous reste un gros travail, bien comprendre les offres tout d’abord, les comparer ensuite, pas seulement d’un point de vue du prix, mais en prenant en compte la démarche proposée, les outils, les choix qui ont été faits dans la priorisation par chaque agence.
Si on cumule le temps de préparation du cahier des charges, le temps de discussion avec les agences, et cette comparaison pour le choix final, on dépasse largement de notre côté le mois homme. Chaque agence a dû investir au moins une bonne semaine homme pour répondre à nos demandes. Dans le niveau de détail où nous étions entrés, c’est donc une démarche à réserver à des gros projets.
Mais sur des petits projets, on peut facilement l’alléger, tout en n conservant la logique. Mettre noir sur blanc son besoin, de façon précis, est toujours une bonne chose.
(Très “gros” billet dans la série #back2blog , mais bon… on écrit ce qui vous intéresse !)
“Navré, je n’aurai pas le temps pour ce genre de paperasse. Nous travaillons généralement dans la confiance.” : non, mais franchement, ils ont des clients ? À part quand on bosse sur des petits sites vitrine, quasiment tout le monde signe un engagement de confidentialité.
Travailler dans la confiance sur des projets de plusieurs dizaines de milliers d’euros, entre deux sociétés qui ne se connaissent pas, c’est du jamais vu. Après, si on travaille sur plusieurs projets pour un même client, bien souvent on ne signe qu’une fois l’engagement de confidentialité.
« Navré, je n’aurai pas le temps pour ce genre de paperasse. Nous travaillons généralement dans la confiance. »
Alors celle-ci on me l’a déjà faîte plusieurs fois ! Et ce genre d’agence sont les premières à se plaindre quand il y à un problème.
Et de temps en temps, c’est le client qui peut dire ça lui même au moins, si l’agence est trop gentil, il peut profiter des services à moindre coûts.
:)
Et en l’occurence, le client, il n’avait pas envie de voir son cahier des charges se balader partout sur le net !
Comme tu dis, ce sont généralement ceux là qui font des problèmes après…. problèmes inextricables, puisque “la paperasse inutile” comprend le contrat, j’imagine …
@ Olivier, ils semblent avoir des cients en tout cas. Après, comment ça se passe avec le client, je n’en sais rien.