Le Web au Maroc, on fait quoi avec ?
- 1 - Le développement du Web au Maroc
- 2 - Le Web au Maroc, on fait quoi avec ?
- 3 - Les fournisseurs d’accès internet au Maroc
Ces 55% des marocains connectés sur le Web, ils y font quoi ? Et surtout en quelle langue ? Pour comprendre le paysage du web au Maroc, il faut déjà savoir quelle langue on y parle… ou plutôt quelles langues, sachant que les deux langues les plus répandues, la darija et l’amazigh (ou berbère), n’ont pas de codification iso, et sont donc écrites “comme on peut”. Et que l’arabe standard, le français ou l’anglais sont des langues secondaires, le plus souvent apprises à l’école. J’avais fait en son temps un long article sur Mezgarne, mais pour résumer :
- jusqu’à l’entrée à l’école, le petit marocain parle la langue de ses parents : le français avec un peu d’arabe pour une toute petite minorité de marocains très riches, qui ne parlent même plus arabe, à force de faire leurs études en français, la darija qui est un dialecte d’arabe, à peu près aussi éloigné de l’arabe d’Arabie Saoudite que le français l’est de l’espagnol, ou un des trois dialectes amazighs ;
- à l’entrée à l’école, il va faire toute sa scolarité jusqu’au bac en arabe standard (une version simplifiée de l’arabe classique), et si il va à l’université, il repart en français, ou il continue en arabe, selon les matières ; le français et l’anglais sont enseignés comme langues étrangères, très tôt, mais restent des langues étrangères, et l’étudiant marocain doit passer les mêmes certificats de langue qu’un étudiant américain pour pouvoir entrer dans une université française ;
- au travail, il utilisera, selon son entreprise, le français (les banques, la plupart des grosses sociétés, les sociétés qui travaillent avec des pays étrangers), ou l’arabe (les administrations, les petites sociétés) ;
- le français s’écrit… en français, l’arabe… en arabe, la darija en caractères alphabétiques, en rajoutant des chiffres pour représenter les lettres qui n’existent pas dans nos langues (ces fameux H et K de fonds de gorge que nous sommes quasiment incapables de prononcer), l’amazigh a une graphie officielle, en caractères tifinaghs, mais qui n’a pas de codification sur le web, il peut aussi être transcrit en caractères alphabétiques, avec des règles qui varient d’un pays à l’autre ;
- si il est originaire d’une ancienne colonie espagnole (le rif, ou le grand sud), il y a de fortes chances qu’il parle bien l’espagnol, mais, à la différence du français, cette langue n’a pas de statut officiel au Maroc.
Cet éclatement va se retrouver dans la “bloggoma” (blogosphere marocaine) et dans tout le web marocain. Le français s’y taille la part du lion, l’arabe y est plutôt réservé aux sites d’information ou privés, et l’anglais et l’espagnol y sont anecdotiques.
On maintient le lien avec ses proches
Comme dans tous les pays d’émigration, le Web est un outil formidable pour maintenir le lien avec “le pays” et la famille. MSN, puis Skype et Facebook, beaucoup plus le mail, servent à maintenir ce contact. Skype est un peu difficile (car Maroc Télécom, depuis un certain temps, bloque aléatoirement les connexions, essayant sans doute de promouvoir sa propre solution de VOIP, la solution du VPN n’est pas accessible à tout le monde).
Les blogs ont aussi tenu ce rôle de lien, mais plutôt dans le sens inverse, blogs d’expatriés qui parlent de leurs deux pays, de leurs expériences “ici et là bas”. C’est là qu’on va trouver des blogs en anglais, en espagnol, voire même de façon anecdotique, en néerlandais ou tout autre d’émigration.
Le marocain du Maroc, lui, ne se raconte pas vraiment de façon totalement privée sur un blog. Avec l’exception des blogs skyrocks, mais là, le marocain se montre et montre son pays. Facebook et Skyrock sont des plateformes gratuites très utilisées, où le “je raconte ma vie” se fait en images, et pas seulement les siennes, mais celles de tout le monde : on montre tout ce qu’on aime du Maroc (les marocains sont aussi chauvins que les français, c’est dire !), on copie des textes qui plaisent… Les profils Facebook se multiplient, selon les humeurs, un jeune pourra créer des dizaines de profils.
On milite
Bien avant le printemps arabe, la blogoma a été militante. C’est sans doute l’affaire Fouad Mourtada que j’évoquais dans le précédent article qui a donné le coup d’envoi d’un militantisme qui est resté très “virtuel” jusqu’au mouvement du 20 février.
Bien qu’il n’y ait pas d’exilé politiques “en tant que tels”, des marocains ont quitté le pays parce qu’ils s’y sentent mal. Le plus célèbre d’entre eux est le cousin du Roi, une sorte de Prince Rouge, qui vit confortablement en Amérique et donne son opinion sur la façon dont le pays doit évoluer.
Au début des manifestations du mouvement du 20 février (la version marocaine du printemps arabe), les “vieux blogeurs” comme Fhamator, un peu tombés en sommeil, sont ressortis de leur torpeur, avant de se décourager. D’autres, comme Larbi, ont au contraire pris une toute autre dimension, et sont devenus de véritables activistes. Et des médias complets ont vu le jour, comme le portail mamfakinch. Majoritairement en arabe, il a aussi des articles en français et en anglais. Les articles en arabe sont devenus de plus en plus nombreux, d’ailleurs, chez Larbi : le militantisme se démocratise, se répand dans la rue et change de langue.
Enfin, des marocains de l’étranger participent à cette partie très politisée de la “sphère” marocaine. Le juriste Ibn Kafka est de ceux là. (Le nom de son blog veut dire “les remarques en passant du fils de Kafka”).
On s’entraide
Le web permet de pallier les manques de la société marocaine.
L’éducation est dans un état catastrophique ? Des sites se consacrent à l’aide entre lycées, BACTVMA ,une chaine YouTube, a été mise en place par des professeurs qui donnent des cours en vidéo (et gratuitement, sans demander de mails). Adamito, un blogueur qui a commencé très jeune, est aujourd’hui à la fois étudiant et web entrepreneur, avec une plateforme pour aider à l’orientation scolaire et universitaire, 9rayti.com, qui s’est doublée d’un blog au nom très clair “9rayiti revolution” l’année dernière.
J’étais déjà au Maroc quand j’ai découvert Twitter. Il m’est donc difficile de comparer, néanmoins j’ai l’impression que la Twittoma est particulièrement portée aussi sur l’aide et le partage, les coups de pouce, les solutions vites trouvées.
On réseaute
Mais pas tant que ça. En dehors de Facebook, qui vole à Google sa place prédominante, les marocains sont très nombreux sur les réseaux sociaux professionels (LinkedIn, Viadeo, Xing) mais ceux qui les utilisent réellement
On pirate et on phishe
Les webmasters marocains sont le plus souvent autodidactes, et beaucoup d’entre eux sont techniquement excellents.
Le piratage en tout genre est une industrie au Maroc comme dans toute l’Afrique : cartes satellites, DVD, CD de jeux, etc… Au Maroc la capitale est Derb Ghalef, un quartier de Casablanca qui est un immense marché où on peut tout trouver à des prix défiant toute concurrence ! (Mais aussi à des qualités très variées, il faut très bien s’y connaître pour acheter sur place).
Parmi ces webmasters, on trouve un certain nombre d’hacktivistes. Les cibles favorites sont les sites officiels des pays qui disent du mal du Maroc, soutiennent le Polisario ou Israël. Des légendes courent, des marocains seraient entrés sur le site de la CIA.
Toutes ces activités sont tolérées, néanmoins la pression de plus en plus forte que mettent l’Europe et Microsoft (avec des implantations et donc des emplois à la clé) ont poussé le gouvernement à poser des limites, et certains pirates de Derb Ghalef ont été condamnés à cinq ans de prison.
Enfin, dernière facette des activités “non officiellement commerciales et professionnelles”, les phishings, scams et autres arnaques. L’industrie n’est pas aussi prospère et florissante qu’en Afrique Noire, les escrocs n’ont pas pignon sur rue, mais il y a des marocains qui vivent très bien de cette industrie.
Paradoxalement, alors que la population est plutôt pauvre, il y en a aussi qui se font soutirer le peu d’argent qu’ils possèdent. Notamment, les scams à la carte verte sont nombreux.
Je savais pas que 55% des Marocains étaient connectés, ça fait beaucoup ! Avez-vous les chiffres pour les autres pays du Maghreb ?
Il suffit de lire l’article précédent dans la série !
Je pensais l’espagnol plus dominant ces dernières années, en même temps, la plupart de mes contacts sont sur Merzouga, alors ce n’est pas forcément très représentatif! :)
Enfin un article qui permet d’avoir de réelles information sur l’utilisation d’internet au Maroc. Les chiffres balancés un peu partout sur la blogosphère ne permettent pas de tirer des conclusions intéressantes lorsqu’elles ne sont pas accompagnés d’information sur les comportements.
Avez-vous les chiffres pour les autres pays Tunisie, Algérie …
Ils sont mentionnés dans le premier article de la série :)
Pour les attaques venant du maroc aujourd’hui en matière de piratage, les marocains ont tout interêt à ce que les vrai webmaster se distinguent et se fassent mieux connaitre.
Je pense que les webmasters marocains n’on pas assez de culture du web 2.0, il se contente de faire du copier coller d’autre site francophones. Il manque un certaines originalités sur les sites marocains.
fred