Internet espace de non-droit ou Far-West ?
Aux promoteurs de l’Internet comme un espace de non-droit… le non-droit n’est que la Far West et la loi du plus fort. Le non-droit est un état instable, il n’y a pas de groupe qui ne met pas en place des règles, pour survivre.
Chez SEO berSZerkers, un commentaire intéressant de l’article de Jean-Marie Ray, L’homme est un animal social.
A son affirmation
Et en outre, autre révolution majeure : il y a aujourd’hui davantage de contenus librement accessibles que de contenus payants.
Des contenus de même nature !
Il devient en effet de plus en plus difficile, au point de tendre à l’impossible, de trouver une info payante qui ne soit pas aussi disponible sans rien payer. […]
elle répond
C’est une illusion commune que cette croyance.
Le “deep Web” inaccessible au commun des mortels représente encore plus de 100 à 500 fois ce qu’on peut trouver sur le Web public.Rien que le contenu des revues scientifiques accessibles seulement par abonnement…je vous laisse imaginer.
Et encore s’agit-il seulement de quantité.
Au niveau de la qualité, le rapport entre le visible et l’invisible, entre le librement accessible et le réservé-payant, je renonce à l’exprimer.
Je partage totalement cette opinion.
Il est vrai que dans le domaine de la “culture générale”, de la connaissance de l’honnête homme, on trouve “tout” sur Internet. Tout du niveau Wikipedia.
Il est vrai que de nombreuses publications institutionnelles, qui étaient autrefois payantes pour couvrir les frais d’impression et de distribution, sont maintenant mises à jour gratuitement, Journal Officiel, statistiques diverses, etc… Il est vrai que l’actualité est en ligne, et qu’on peut chaque jour se tenir au courant de ce qui se passe sans avoir à acheter son journal.
Mais les archives restent peu de temps en ligne, et les informations pointues sont souvent beaucoup plus difficiles à trouver, voir impossible quand on ne parle pas anglais.
De plus, internet est un lieu sans contrôle, et pour avoir pu voir, sur certains sujets, à quel point chaque site recopie le contenu d’un autre, ce que l’on gagne en disponibilité immédiate, on le perd en recoupement et en validation.
Les sources de connaissances privées, payantes, sont beaucoup plus riches… et plus nombreuses.
Les US protègent férocement leurs droits d’auteurs
Jean-Marie Ray dans son billet suivant, le Web dans les nuages, enfonce le clou :
Pendant que les français, sûrs de leur bon droit, brident les énergies du Web à coup de procès et envisagent d’interdire purement et simplement aux “pirates” l’accès à Internet (qui devrait pourtant faire partie des droits inaliénables de tout citoyen, monsieur le petit père castrateur), les américains inventent l’avenir : le Web dans les nuages, ou Cloud computing. […] Et pendant ce temps, les français continuent de penser qu’on n’a pas encore fait mieux que le droit romain pour réglementer Internet, ce putain d’espace de non-droit. […] Les français oublient que les inventeurs du Web, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, renoncèrent il y a 15 ans (1993) à percevoir des royalties sur leur “invention”, offerte au domaine public (sans quoi le Web tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existerait pas)
Je me permettrais d’abord de signaler perfidement que le droit d’auteur ne vient pas du droit romain, loin de là. A cette époque là, et jusqu’à la Renaissance, les auteurs n’avaient pas réellement d’existence. L’artiste était le plus souvent un anonyme, un artisan, au sein d’un groupe ou d’un atelier, et, sauf de rares exceptions, les noms retenus sont ceux des interprètes. Même les grands tragédiens, les fabulistes de l’antiquité étaient les interprètes de mythes communs. Peu à peu les auteurs, les musiciens émergent de l’anonymat, mais pour survivre, ils doivent plaire à un mécène, et se plier ainsi aux jeux qui leur permettent de créer, tout en limitant leur expression.
Si on se plonge dans l’histoire des droits d’auteurs, on voit d’ailleurs qu’une grande partie est basée sur les théories de Locke (un anglo-saxon).
Bref, pour faire court, le droit d’auteur est une conception récente, de l’époque des Lumières, qui vise à conserver à l’homme le produit de son travail.
Et pour tordre le cou aux différences US-France, les grandes majors US sont les premières à lutter pour leurs droits, dans des procès qui mettront des années à être jugés, et les plus grosses amendes et condamnation pour piratage ont été prononcées aux USA.
L’information gratuite n’existe pas
Quand je lis chez JM Ray
Et qu’on ne vienne pas me dire que ce qui est gratuit n’est pas gratuit, que vous le payez autrement, etc., car en l’espèce c’est une question tout à fait accessoire.
je suis en profond désaccord.
C’est au contraire la question essentielle.
Le gratuit a un coût, et il se finance donc autrement.
Par la publicité, par exemple.
Par les fondations, aussi. Lesquelles sont financées par les entreprises et les milliardaires (donc essentiellement les entreprises).
Lesquelles financent ce qui les arrangent. On revient au système de mécénat, de sponsoring ancien. A une époque où les écrits politiques allaient s’imprimer en Hollande. Il y a deux modes de censure, “couper le sifflet” à une parole déjà exprimée, ou tout simplement l’empêcher de s’exprimer, et à de très rares exceptions, les buzz internet n’ont jamais réellement atteint les grands compagnies américaines.
Le gratuit se finance par la masse. La masse c’est Skyblog, MySpace, ce n’est pas ce qui finance la recherche scientifique, la construction des machines, les réseaux.
MySpace justement…
On s’émerveille justement de MySpace, et qu’aujourd’hui de jeunes artistes puissent percer sur Internet, “sans être repérés par les Majors”.
Est-ce un miracle ?
Il y a 20 ans ou 30 ans, les maisons de disques découvraient des artistes, prenaient des risques, soutenaient des chanteurs.
Et puis cela s’est arrêté.
Notamment parce que le piratage diminuant la rentabilité des disques, les maisons de disque ont préféré prendre moins de risques, sortir des compilations, reprendre sans cesse les mêmes succès.
Cela a fortement appauvri le paysage de la création musicale.
Et puis aujourd’hui il se revigore avec ces jeunes “MySpace”.
Donc, en clair, grâce au “monde gratuit et de non droit” d’internet, les Majors ont réussi à redonner aux artistes la charge de leur promotion, et à trouver un mode de test des nouveaux artistes, qui ne leur coûte pas un centime.
Le prix de la musique en CD ne baisse pas. Les offres par téléchargement se multiplient, Le mode de rémunération global évolue, certes, mais la rémunération reste. Et la grève des scénaristes d’Hollywood montre bien que même au pays du Cloud Computing, les auteurs entendent bien ne pas être frustrés du produit de leur travail, et ne pas se laisser transformer en sous-OS du clavier pour le bien d’un grand internet libre et gratuit pour tous.
Quand on ne sait pas ce qu’on paye, on ne sait pas à qui on le paye
Le Canard Enchaîné – qui ne peut pas être soupçonné d’alliance avec le grand capital policier ou castrateur – protège jalousement ses droits d’auteurs, ne laisse pas ses articles être copiés, ne vend pas de pub, et tire son indépendance et sa stabilité sur un siècle, de la vente directe de son contenu.
La “gratuité” du Web est en fait l’opacité de la rémunération.
Un des points importants d’un système démocratique, c’est le contrôle du bidget. Certes, tout le monde paye, mais les comptes de la nation sont public.
En cela, internet est tout sauf un modèle démocratique.
Chaque utilisateur paye, de façon indirecte, sans aucun contrôle sur la façon dont est utilisé son argent.
Les hébergeurs gratuits imposent des pubs sur lesquelles on n’a pas de contrôle.
Les services gratuits ont des failles contre lesquelles on n’a pas de recours. (Y compris Google…)
Prenons un exemple, Skype. La téléphonie d’ordinateur à ordinateur, c’est fantastique. Certains ont même abandonné leur abonnement téléphonique, pour cela, mais si l’on ne passe que par Skype, les coûts globaux ne sont plus économiques que dans certaines configuration.
C’est une illusion de croire que l’on peut réduire tous les coûts à zéro. En même temps on réduit les rémunérations à zéro.
La gratuité sur internet n’est qu’une période de dumping, dans le cadre d’une guerre économique ultra-libérale. La seule question est de savoir ce qui se passerait si les acteurs traditionnels étaient éliminés.
Le tout gratuit n’est pas toujours la qualité
Juste une exemple : je peux faire des photos avec un petit bridge, ou avec un reflex, plus ou moins cher. Si je diffuse mes photos sur le net, “gratuitement”, à moins d’être richissime, ou de faire autre chose dans la vie, je ne peux pas rentabiliser un appareil haut de gamme. Donc faire des photos qui dépassent un certain niveau de qualité.
De la même façon, les contenus peuvent être faux, erronés, incomplets.
Souvent les sites ne sont pas mis à jour, l’information gratuite disparait.
Le développement d’Internet se fait avec l’application des droits d’auteurs
Bref… j’apprécie le monde du libre, et j’essaie d’y participer, à ma façon. Mais ce monde là ne peut pas exister dans un “espace de non-droit”. Les droits d’auteur sont une avancée récente, et pour y renoncer comme l’ont fait Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, encore faut-il les avoir.
Dire que les modes de protection et de rémunération doivent techniquement s’adapter à l’internet, cela ne veut pas dire que les principes de droit sont inadaptés.
Au fur et à mesure de la mise en place des modes de distribution, les solutions se présentent.
La plupart du temps, ces solutions sont le fait de privés. A long terme, la meilleure protection du droit d’auteur, c’est la pénalisation qu’inflige Google en cas de duplicate content.
A nous de savoir si nous souhaitons un espace ultra-libéral, comme il n’en existe nulle part ailleurs, ou la seule régulation est faite par les grosses entreprises, ou si nous acceptons d’aller vers une régulation juridique… et un peu plus indépendante.
NB : Les articles de JM Ray sont beaucoup plus nuancés que les citations tronquées que je peux en faire n’en donnent l’impression. De même, en même temps que j’y réponds, je réponds aussi à beaucoup de gens qui sont au degré zéro du non-droit, et qui n’ont pas sa connaissance et son analyse d’internet.
Jean-Marie Le Ray, merci ! Je n’ai pas l’honneur de connaître Jean-Michel Ray…
JML
Pardon, je change…